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Le « mariage pour tous » (et toutes) en DIP français

Le 29 mai 2023, les Français fêtaient les 10 ans de la célébration du premier mariage entre personnes de même sexe en France, dont la licéité a été reconnue par la loi 2013-404 du 17 mai 2013, ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, fièrement portée par Christiane Taubira, Garde des sceaux de l’époque sous la présidence de François Hollande.

Cette avancée sociale constitue l’un des exemples marquant de la prise en compte par le Droit international privé français de considérations substantielles visant à favoriser d’une manière inouïe la validité de ces mariages entre personnes de même sexes présentant un élément d’extranéité, notamment du fait de la nationalité étrangère de l’un des époux.

Ex ante, il est important de noter que les qualités et conditions de « fond » requises pour pouvoir contracter mariage sont traditionnellement régies pour chacun des époux par leur loi personnelle, au visa de l’article 202-1 du Code civil pris en son premier alinéa, ce qui fait directement écho à la règle de conflit de lois de l’article 3 al.3 du Code civil en matière d’état et capacité des personnes.

De s’en tenir à cette disposition, il en résulterait dès lors que si le statut personnel de l’un des époux prohibe une telle union entre personne de même sexe, il se verrait empêché de le faire, même en France : cela constituerait alors un empêchement bilatéral à mariage.

Une telle solution s’entendrait largement du point de vue du titre légitime dont dispose chaque État souverain pour régir le statut personnel de ses nationaux. Pourtant, c’est justement sur ce point que se situe la grande faveur accordée par la loi française de 2013.

En effet, un second alinéa a été introduit à l’article 202-1 du Code civil, lequel dispose que « toutefois » (avec l’idée sous-jacente de nuancer le premier alinéa de la même disposition), des personnes de même sexe pourront contracter mariage dès lors que la loi personnelle ou la loi du lieu de résidence de l’une au moins d’entre elles le permet.

Cela implique, aux yeux de la loi française, qu’un individu étranger a la possibilité de contracter valablement un mariage avec une personne de même sexe, alors même que ni sa loi nationale, ni la loi de son domicile ne le permettent, dès lors que sa future épouse (ou futur époux selon les cas) est de nationalité française ou, alors qu’elle est de nationalité étrangère résidant en France.

Cette disposition est intéressante à plusieurs niveaux. En premier lieu, alors que l’empêchement à mariage homosexuel est en principe bilatéral, la loi française vient introduire une dérogation à l’application cumulative des lois en présence des époux, en venant s’affirmer comme prévalente face à une loi prohibitive du mariage entre personnes de même sexe, du fait de son applicabilité très étendue et favorable.

D’autre part, la Cour de cassation a pu actualiser l’ordre public international français, qui permet d’écarter une loi étrangère qui serait « trop choquante » au regard des conceptions française les plus fondamentale, en faisant primer sa lex fori face à une loi marocaine qui prohibait le mariage entre personnes de même sexe, laquelle s’est alors retrouvée « bloquée » aux frontières françaises (Arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 28 janvier 2015).

En l’espace de 10 ans, le droit international privé français a alors affirmé son extrême faveur à la validité des mariages entre personnes de même sexe. Cependant, il est tout de même important de noter que cette extrême faveur ne peut être illimitée: la loi française doit disposer d’un titre légitime pour pouvoir s’appliquer, lequel est certes ici très largement admis du fait de la nationalité française ou du domicile en France de l’un seul des époux.

Or, toutes les législations nationales ne font pas encore preuve d’une telle modernité, et il faut accepter que l’ordre juridique français n’ait pas à intervenir quand la situation ne se rattache aucunement à la France, par exemple dans le cas de deux individus qui voudraient venir se marier en France, alors qu’ils n’ont ni la nationalité française ni ne résident en France, et que leur statut personnel leur prohibe de se marier avec une personne de même sexe. Il en va d’une sécurité juridique et d’une continuité transfrontière des situations.

Quid au niveau de l’Union européenne?

Une autre question plus large porterait sur une possible admission de la licéité du mariage entre personnes de même sexe par l’Union européenne, à un niveau supranational.

D’emblée, il est à noter qu’une telle évolution ne semble pas être accessible dans l’immédiat: sachant que nombres d’États membres de l’Union européenne définissent toujours constitutionnellement le mariage comme étant une union entre un homme et une femme, il apparaitrait dès lors difficile de trouver un consensus, d’autant qu’il faut prendre en compte la marge de manœuvre laissée à chaque État.

En l’absence d’une telle reconnaissance européenne du mariage entre personnes de même sexe, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a tout de même démontré qu’elle était capable d’affirmer sa faveur à la libre circulation des citoyens de l’Union dans le cas des couples de même sexe.

C’est ainsi que, sans remettre en cause la prohibition du mariage entre personnes de même sexe par la Roumanie, la CJUE a pu juger qu’il apparaissait disproportionné de refuser d’accorder un titre de séjour au mari homosexuel d’un ressortissant roumain (pour un mariage valablement contracté dans un autre État membre) sans invoquer d’intérêt légitime (Arrêt rendu par la grande de chambre de la Cour de Justice de l’Union européenne le 5 juin 2018, « Coman »).

Au regard de l’actualité très récente, il est possible de constater que l’Union européenne se saisit de ces questions par la méthode des petits pas : encore fallait-il commencer par dépénaliser l’homosexualité de manière universelle, ce qui est chose faite depuis la récente résolution du Parlement européen du 20 avril 2023 (adoptée en réaction à des évènements récents en Ouganda). Ces questions restent donc ancrées au cœur des débats politiques et juridiques, et de possibles évolutions viendront sûrement dans les prochaines années.

Joris Leveziel

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